MERCREDI
Romain Gentil, à la tête du collectif Grenoble Capitale Citoyenne, ouvrait la voie (Voix) dès mercredi soir avec l’ouverture de son local de campagne, 38 rue Alsace Lorraine, à quelques pas seulement de celui de Réconcilier Grenoble, le collectif d’Alain Carignon. Et c’est environ 200 personnes qui se pressaient à l’endroit pour une soirée dont le point d’orgue fût la prise de parole de Romain Gentil. Précise, courtoise et sobre. Toute à l’image de son orateur.

JEUDI
Jeudi soir, l’ensemble des candidats en lice pour les municipales grenobloises de 2026 étaient réunis à l’appel de l’union de quartier Exposition-Bajatière pour un débat portant les thèmes de la cohabitation des modes de déplacements, de la sécurité et de l’apaisement et de la lutte contre les ilots de chaleur. Si Allan Brunon, tête de liste LFI manquait à l’appel de ce débat, c’est en raison d’un « oubli » de l’union de quartier, chaque représentant et représentante de sa formation fait ses gammes, chauffe sa voix (voie) et se familiarise à ses adversaires. A noter toutefois la présence de Delphine Bense (MODEM), non candidate qui annonçait lors de ce débat représenter Émilie Chalas, pas candidate non-plus lors de cette séquence ou l’adage « vient à point qui sait attendre » prendra tout son sens le lendemain. Dans le public, des personnalités liées aux candidats. Entre autres Ludovic Blanco et des jeunes RN accompagnaient Valentin Gabriac, Maximin Ytournel en soutien de Clément Chappet, Sarah Beratto, la très efficace directrice de campagne de Laurence Ruffin était là aussi. On croisait également Stéphane Gemmani, proche d’Amandine Germain, David Bousquet, cadre du Parti socialiste, quelques membres du Nous Grenoble d’Hervé Gerbi dont sa directrice de campagne, Hakima Nécib, Léonie Chamussy, du collectif Grenoble Alpes Collectif, venue soutenir son pas encore candidat Thomas Simon. Présent également Pierre Édouard Cardinal, discret et solitaire, silencieux et concentré mais dont on constatera plus tard qu’il venait soutenir une des candidates, elle-même présente pour le soutenir et qui en cela avait sans doute… retrouvé Grenoble. Car si les candidats répondaient aux questions avec rigueur et compétence, une tension palpable se ressentait dans la salle, au contact ou à l’observation des staffs et de certains accompagnants. Pour sentir cela, Il faut avoir l’habitude des coursives, des halls, des couloirs ou des jardins des préfectures. Cette légère impatience, cette nervosité en chacun, quand le propos des capitaines devient secondaire aux frémissements des lieutenants. Peu à peu, l’idée s’impose, qu’il se passe quelque chose.

LE FRIDAY WEAR DE PIERRE ÉDOUARD CARDINAL
L’aube du vendredi tient la promesse du crépuscule de sa veille. La presse est conviée à se rendre place de Verdun, face à l’ancien musée de peinture afin de recueillir les premiers propos de la liste conduite par Pierre-Édouard Cardinal, « Grenoble, La Belle Ambition », version majeure de l’adolescent « Retrouver Grenoble ». Un jeune homme estampillé « société civile », comme Romain Gentil mais que l’on parvient à identifier par la différence de leurs cols de chemises.
Sur la forme, PEC propose un travail sérieux, rendant Grenoble « Ville propre en six mois », allégeant la pression fiscale avec un vaste programme de réhabilitation des logements et des commerces vacants ou en créant un « choc de sécurité » en renforçant les moyens d’action de la police municipale et des acteurs de la prévention. Pierre-Édouard Cardinal, par ailleurs homme intelligent et de grande culture déroule Sa Belle Ambition devant des journalistes Grenoblois venus au complet écouter l’office fraternel d’un candidat soucieux que Grenoble redevienne pionnière en bien des domaines, notamment culturel. A l’écouter, Grenoble serait plongé dans l’obscurité sinon dans l’obscurantisme et il serait grand temps de mettre au sec le musée de Peinture qui prend l’eau dans une ville qui se noie. Autant d’incantations qui semblent faire fi du travail réalisé par les acteurs culturels de cette ville qui compte notamment la plus grande scène nationale française (MC2) depuis 1968 et comptes-en ses murs nombres d’équipements culturels au rayonnement national et parfois même international (musée de Grenoble, CNAC).

FASHION WEEK
Sur le fond, Pierre-Édouard Cardinal s’agace quand la question lui est posée des logos des partis politiques qui pourraient figurer sur ses affiches. A cela, il aime rétorquer que « notre large rassemblement ne sera pas une accumulation d’étiquettes partisanes », ce qui surprend quand on regarde la photo de famille proposée.
Comment se dire au-dessus des étiquettes et des partis politiques quand sont présentes une députée et une ancienne députée Renaissance, une référente locale et nationale Modem désignée directrice de campagne (Delphine Bense), deux anciens élus de l’ère Michel Destot (David Smétanine et Marie-José Salat), entre autres. Une réponse qui, au-delà d’une spontanéité qui n’a pas forcément contenté l’ensemble de l’assistance fait montre d’une contre-vérité absolue : celle de croire que les électeurs ne sont pas politisés et errent dans les rues en attendant avec gourmandise l’impérieuse nécessité des propositions de telles ou telles listes, rendant enfin au jour ce que les équipes municipales antérieures (élues elles aussi par les électeurs) avaient plongé forcément dans la nuit. Mais au surplus du fond et de la forme, il est également possible de s’interroger sur l’utilité de cette liste dans un panorama central déjà fort encombré.
Grenoble vit le phénomène inverse du national. Car si à Paris, la Macronie a siphonné les modérés de droite comme de gauche, laissant les radicaux vampiriser le débat public, le phénomène inverse s’observe à Grenoble. Les radicalités étant aux manettes de la ville, le débat public s’enrichit de la complexité des listes centristes, toutes sociales démocrates par vocation et libérales par obligation.
HMMM… CHALAS
Dans le cas présent et depuis quelques mois déjà, une des marottes de la presse et de nombres de formations en lice pour l’hôtel de ville était de savoir ou allait atterrir l’ancienne députée Renaissance. Si l’hypothèse de rejoindre Alain Carignon a pu avoir une brève actualité, celle du ralliement à la liste conduite par Hervé Gerbi devait trainer plus en longueur, composant plusieurs épisodes à ce feuilleton avec pour générique une déclaration de l’intéressée par voie de presse et son fameux « J’échange en grande intelligence avec Hervé Gerbi » et même si l’avocat grenoblois, de son côté, n’a jamais rendu publique des tractations allant dans ce sens. Il y a fort à parier que ce mercato-là a suscité nombre de réunions, de fils WhatsApp, de conciliabules et de controverse de Valladolid. Entre des personnes assurément, celles en responsabilités sur la photo du jour, au travers sans doute de leurs instances. Pensons au Modem de Delphine Bense et en creux de Franck Longo, par ailleurs proche d’Émilie Chalas, au parti présidentiel Renaissance, représenté ici par deux députées dont une en exercice. Mais alors quel rôle a pu jouer ou ne pas jouer Horizons, formation politique qui sur le sol grenoblois doit tout à Hervé Gerbi qui incarne la ligne d’Édouard Philippe, depuis la législative partielle de janvier 2025, alors que le soutien officiel de la formation gaulliste avait été donnée à Camille Galliard Minier qui remporta d’ailleurs avec brio cette élection avec le score de Corée du Nord de 64% vs 36%. Émilie Chalas, est ainsi faite. Elle est une personnalité politique à l’état sauvage. C’est elle qui décide de sa place ou si elle se met en retrait, ce qui est moins sa nature. Et dans le cas présent, que les autres en soient certains, si PEC semble piloter cette Belle Ambition, l’ambition finale sera celle d’Émilie Chalas, qui n’a que très peu de gout pour les seconds rôles.
LA DOTATION TESTICULAIRE
Pas de réciprocité donc de la part de la députée en place et guère de capacité d’engagement à faire basculer la vapeur pour Horizons, qui, au risque de le répéter, doit tout localement à Hervé Gerbi et à qui Hervé Gerbi ne doit finalement pas grand-chose, en dehors d’une partie de sa colonne vertébrale politique qu’il ne reniera jamais. Horizons a ici, une opportunité d’avoir une autonomie localement qu’elle cherche nationalement vis-à-vis de Renaissance, qu’elle la saisisse. Mais peut-être que cette incapacité d’Horizons à négocier avec ses homologues en dit plus qu’il y parait sur sa capacité à discuter tout court et du poids réel de la formation d’Édouard Philippe et de son propre poids sur l’échiquier politique national. L’aphorisme d’Emmanuel Macron prenant ici peut-être tout son sens « Philippe, c’est Giscard… sans destin). Quant au destin d’Hervé Gerbi, il ira au bout de son action, de son projet, n’ayant pas engagé seulement son Contrat de Rassemblement auprès des appareils mais aussi auprès des électeurs.
FRIDAY GREENY FRIDAY
Mais en si bon chemin, la journée ne s’arrête pas. Laurence Ruffin et Amandine Germain, accompagnées des représentants de leurs formations satellites, conviennent d’annoncer, dans un bar de l’avenue Jeanne d’Arc de faire liste commune. Si cet attelage était envisageable et attendu, Laurence Ruffin et Amandine Germain ont raison de le qualifier d’historique. La relation entre les deux partis avait été mise à mal jusqu’à la rupture souhaitée par Raymond Avrillier en 2008 et la fin de non-recevoir de Jérome Safar en 2014, ce dernier n’acceptant pas de saisir la main pourtant tendue par Eric Piolle entre les deux tours des élections municipales. Une alliance qui est forcément dénoncée par l’opposition et notamment par le groupe conduit par Alain Carignon. Une opposition qui est dans son rôle premier, celui de s’opposer.

IRRECONCILIABLES ?
En politique, rien n’est jamais figé bien longtemps. Les colères et les ruptures sont souvent contextuelles, s’inscrivant dans le temps souvent assez court, imposé par la politique elle-même, parfois en lien avec les personnes, tantôt imposées par les courants de pensées, à l’intérieur des appareils. Si la gauche, dans son pluralisme, a pu rencontrer des divergences profondes, la droite en a connu aussi. On se souvient du duel Chirac-Balladur qui a laissé des blessures profondes et des rancœurs durables. A contrario, les volontés d’union des droites ou des gauches ont souvent laissé plus de frustrations que de satisfactions, plus de freins que de dynamiques. Les expériences récentes NUPES et NFP n’ont pas toujours montré l’osmose du collectif et quand vient le temps plus local de sauver des circonscriptions, chacun reprend bonnet et maillot pour s’ébrouer dans son couloir de nage. La politique est ainsi multiple, oscillant toujours entre le collectivisme de la pensée et l’individualisme de l’incarnation. Mais à Grenoble, l’union des écologistes et des socialistes avait déjà pris sa source lors d’une élection récente.
En janvier 2025, lors de la dernière élection législative partielle de la première circonscription, à Grenoble, Camille Galliard-Minier, plutôt estampillée aile gauche de Renaissance et alors qu’elle faisait face à un candidat LFI, était parvenus à faire basculer à son avantage les trois cantons grenoblois, pourtant fléchés Lfistes. Ce résultat pouvant être interprété comme un premier sursaut d’un électorat de gauche, souhaitant renouer avec une forme de modération. Une première étape pour une première défaite pour le camp des Insoumis.

RÉCONCILIÉS
Dans une deuxième lecture, l’alliance de Laurence Ruffin et d’Amandine Germain, des Verts et du PS mais également des formations connectées (l’Après, Génération.s, le Parti Animaliste, le PC, le Réseau Citoyen, l’Ades) pourrait être un signe fort d’une volonté de gouverner justement sans l’apport de La France insoumise, qui entrerait de moins en moins dans l’équation de la victoire. Si la liste conduite par Allan Brunon devait être cornérisée par ce bloc de gauche, cela constituerait une mauvaise nouvelle pour l’ensemble des listes opposantes, qui rencontreraient plus de difficultés à agiter le chiffon rouge de la radicalité imaginée jusque-là en cas de jonction entre la liste Ruffin-Germain et la liste LFI et une nouvelle toute aussi mauvaise pour les Insoumis qui auront de plus en plus de problèmes à peser dans cette élection. En cela la droite et LFI ont totalement raison d’orienter leurs missiles vers cette fusion EELV/PS car elle représente un danger véritable pour eux. Plus loin, Laurence Ruffin et Amandine Germain, bien qu’elles représentent l’équipe sortante, ne sont pas comptables du bilan de cette même majorité sortante. Plus loin encore, ce ticket fera long feu puisqu’il incarne à la fois la reconnaissance d’un bilan sur son fond et la rupture sur la forme et la méthode. Si Le Fil écrivait il y a peu que Laurence Ruffin serait la candidate à battre, ce sentiment est encore plus renforcé avec la présence d’Amandine Germain à ses côtés. Car cette alliance représente un ticket auquel la presse nationale donnera, elle aussi, un écho certain, tant il coche bien des cases.
PEUPLE FICTION
Au reste, il n’est guère prudent de faire socle d’une campagne l’éventuel rejet de la politique menée par Eric Piolle durant les deux derniers mandats. Un sondage Ipsos, publié en mai de cette année, indiquait que si 68% des sondés souhaitaient un changement de gouvernance, mais sans dire au profit de qui, plus des deux tiers de ces mêmes sondés étaient satisfaits d’une majorité des mesures mises en place par la municipalité actuelle. Ce qui revient à dire, qu’à bien des égards, le rejet de la municipalité Piolle relève plus de la fiction que de la réalité. Une erreur qui prend sa source en deux endroits.
La première réside en ce que les représentants des listes finissent par ne parler qu’à ceux qui représentent leurs soutiens et plus largement ceux dont les avis correspondent à leurs propres orientations politiques. Il y a en effet peu de chances de rencontrer, lors d’un meeting, un public qui n’est pas en phase avec celui qui le donne.
La deuxième consiste à donner trop d’importance au prisme déformant de la concertation et de l’échange citoyen. A trop demander l’avis de ceux qu’ils rencontrent, les politiques, qu’ils soient élus ou candidats, ces derniers finissent par penser que les premiers attendent tout quant à la modification de la prise en charge de leurs quotidiens.
Cette obsession de la proximité, du « terrain » aveugle élus et candidats au point d’oublier que les électeurs son politisés avant même d’être pragmatiques et que leurs revendications sont souvent plus profondes que de savoir quand le bitume de leurs rues sera revisité par les services publics. C’est à partir de là que nombres de politiques tombent dans le piège du « sans étiquette » alors que les électeurs savent massivement et bien en amont du scrutin pour qui ils voteront. Et c’est faire preuve à minima de bien d’angélisme et d’un peu de condescendance que de croire que les populations sont seulement désireuses de jeux et de pain et que leurs besoins sont supérieurs à leurs désirs.
TROIS SALLES, TROIS AMBIANCES.
Un bloc EELV, expurgé du dogmatisme ambiant lors de ces deux derniers mandats, sans doute induit par la présence de LFI dans la majorité municipale et par la volonté d’Éric Piolle de faire passer en force les axes majeurs de l’urgence climatique et des transitions écologiques auprès des consciences collectives. Car si selon lui, l’écologie part des villes, le chemin que son intuition appelait en 2014 n’était pas encore entré de plein pied dans les cerveaux citoyens.
Un bloc mené par Laurence Ruffin, qui saura changer les méthodes et qui s’adjoint la volonté politique du PS d’Amandine Germain, militante farouche d’une ligne politique ou prendre soin des populations, protéger chacun et chacune constitue l’enjeu majeur des obligations contemporaines, au-delà des attractivités économiques, en retrait dans les esprits mondialisés quand les limites de notre monde ne sont plus ceux du globe mais se restreignent à ceux de nos bassins de vie, dans une époque où l’agent ne coule plus à flot, celui ou les collectivités vivent des restrictions financières de plus en plus significatives.

Un bloc centriste et central, qui appelle de ses vœux le pragmatisme et la bonne gestion, la modération des propos, des politiques et des comportements. Un bloc de candidats de bonnes volontés qui expriment leurs désirs de progressismes sans nier les acquis sociaux et environnementaux mis en œuvre dans un passé récent. Mais un bloc sophistiqué que la multiplication des petits pains doit sans doute pousser à se mutualiser s’ils ne veulent pas d’abord se télescoper pour finalement se neutraliser. Mais là encore, collectifs et têtes de listes rencontreront la difficulté du leadership, plus mécanique que naturelle et c’est à déplorer car quand elle est naturelle, la question ne se pose plus.
Un bloc plus souverainisme, encore teinté d’un libéralisme fort, qui souhaite la rupture avec les dogmatismes qu’il juge rétrogrades, quand le monde, selon eux, doit s’organiser autour de la production et de la distribution intelligente des richesses. Un bloc qui lui n’a pas à se poser la question de l’incarnation. N’en déplaise à ses détracteurs, Alain Carignon tient ce rôle, comme une marque, comme un drapeau depuis bien longtemps à Grenoble et sa légitimité, pour le scrutin à venir, ne fait pas débat.
Ces trois blocs ont raison. Chacun avec son glossaire, son champ lexical, son vocabulaire, sa colonne vertébrale politique. S’ils font montre de s’opposer, ils se complètent à bien des égards quand chacun de nous est d’accord pour plus de liberté, plus de sécurité, plus de végétalisation, plus de santé, plus de démographie médicale favorable, plus encore d’une meilleure éducation pour tous, plus enfin pour une alimentation plus éthique, moins meurtrière et plus en phase avec les enjeux environnementaux. Car c’est sans doute le propre des civilisations très avancées que d’être en phase sur l’essentiel quand il reste nécessaire de chipoter sur l’accessoire.
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