Votre contenu arrive dans quelques secondes

Photo de l'article

GHETT’OUT

« Ce que nous cherchons à faire, c’est casser les ghettos, surtout les ghettos des riches ». Avec cette phrase, le maire de Grenoble a signé là une nouvelle punch line dont il a le secret : Clivante, épidermique, suscitant colère et sidération. Sa déclaration sera sans doute le tube de l’été 2025. Dans la lignée de son précédent album : « Burkini », écoulé à l’époque à des milliers d’exemplaires de Grenoble aux plateaux des chaines d’infos nationales, plaçant Eric Piolle à égalité avec Didier Barbelivien en leurs qualités de paroliers à succès. Chacun ou presque ayant depuis à cœur de s’indigner avec la plus grande des virulences, ne percevant pas le piège tendu, s’engouffrant dans le piège tendu volontairement par l’édile.

Par Sébastien Mittelberger

TOUCHER AU FOND

Un propos choquant, à bien des égards. Favorisant la stigmatisation des riches contre les pauvres, opposant grossièrement le centre-ville ou reposeraient les nantis paisibles aux habitants des quartiers périphériques qui survivraient à leur condition sociale dégradée.

Sur le fond, la déclaration aurait pour dessein la construction de logements sociaux au centre-ville de Grenoble, imposant ainsi une mixité sociale. Une mixité depuis longtemps désertée des ensembles HLM, pourtant érigés dans les années 60 avec cette volonté d’assimilation et d’intégration de tous. 

Un propos qui fait écho aux travaux de Didier Lapeyronnie, disciple d’Alain Touraine, qui en 2008 publiait Ghetto urbains, ouvrage consacré aux processus de déliaison sociale et dont les marqueurs résidentiels seraient les meilleures illustrations. Ouvrage qu’a dû parcourir Stéphane Gemmani, pas fermé à ce que le sujet soit posé sur la table, au risque de se faire massacrer par le plus grand nombre, position qu’il affecte particulièrement. 

Sur le fond toujours, si la question du logement est centrale, ici comme ailleurs, était-il nécessaire d’en faire la promotion par le prisme d’une lutte des classes, pointant du doigt, fustigeant, dénonçant encore une fois, non pas des « riches » mais des classes moyennes qui peuplent majoritairement les habitations du 38000 comme du 38100. Car à Grenoble, comme dans bien des villes de même taille, les « riches » ne sont pas légions. Les plus aisés ayant préféré depuis bien longtemps demeurer en des abords plus éloignés des tourments urbains. Car sur le fond, le foncier disponible à Grenoble ne permet et ne permettra pas d’ériger quoi que ce soit de probant en centre-ville. PLU, PLUI, et autre PLH ne devrait guère évoluer dans les années à venir. La densification restant encore un sujet d’anticipation. 

OUVERTURE DE LA CHASSE

Les « riches » ainsi nommés seraient donc encore une fois ces classes moyennes, celles qui bénéficient des améliorations apportées par la ville mais également et surtout par la Métropole en terme de logement, de mobilité, d’équipements divers mais des classes moyennes qui sont aussi les témoins de réelles dégradations, notamment au sujet sulfureux de la sécurité, domaine pour lequel il est insuffisant de désigner l’État comme unique coupable quand la ville doit faire sa part de l’œuvre, ici pour peut-être mieux négocier ensuite avec l’échelon national. Des classes moyennes malmenées par tous les bords politiques et finalement assez méconnues. 

Caricaturées « bobos » (Bourgois-bohème) par les oppositions, pensant désigner ainsi le principal réservoir de voix de la gauche gouvernante, cette même catégorie est honnie par la gauche majoritaire et  radicale, pensant trouver en cette même classification une strate privilégiée qui dépenserait sans compter dans l’évolution de son capital, aveugle et sourde aux souffrances de leurs semblables. Cette classe moyenne demeurerait dans le quartier Championnet et aux abords des halles tant ce qui reste de l’hyper centre est occupé principalement par commerces et bureaux. 

Mais à le savoir, toutes ces images ne sont que cartes postales pour versos de tracts électoraux et stigmatisations rapides pour commentateurs en manque de culture territoriale. 

STAND THE GHETTO

Car les classes moyennes, majoritaires en nombres, ignorées et méprisées par tous les courroux politiques et radicalisés, habitent sur l’ensemble du périmètre grenoblois, tant à l’Arlequin qu’à Malherbe, tant à l’Ile Verte que rue Lakanal, tant avenue Marcellin Berthelot qu’à Flaubert ou encore rue Mallifaud. Mais à chercher, on trouve. Ces classes moyennes, au centre de tout, ni riches ni pauvres, ni satisfaites, ni véhémentes, conservent deux particularités. 

La première et non des moindres, elle constitue un corpus fiscal. En terme plus accessible, elle paie des impôts, notamment sur le revenu, ce qui, en France, ne constitue pas la majorité du genre. En cela, la classe moyenne participe pécuniairement et sans broncher à l’effort commun, à cet intérêt général dont chacun se sent dépositaire, oubliant parfois qui en est le principal contributeur, nommément le contribuable. 

La deuxième particularité observe que ces classes moyennes composent également un corpus électoral. Plus simplement, cette classe moyenne vote. Plus encore la colonne vertébrale de cette catégorie sociale est mobile, attentive à la proposition politique, soucieuse de l’aspect programmatique. 

A résumer le fond, Éric Piolle est mal inspiré de pousser cette classe moyenne dans des retranchements. D’autant que cette partie du globe électoral ne lui a jamais été hostile et qu’elle pourrait encore être très utile à sa descendance municipale. Un Éric Piolle mal inspiré également quand on mesure l’impact de la politique municipale en matière de construction de logements sociaux : 25%, soit deux fois moins que sous l’ère Destot. Mal inspiré encore, Éric Piolle, d’oublier si vite que c’est bien cette classe moyenne qui majoritairement assume au règlement de la si sulfureuse hausse de la taxe foncière. 

FERMETURE DE LA CHASSE

En ce domaine, Des politiques s’égarent en une traduction du monde, le nôtre, ou il serait opportun de stigmatiser pauvres et riches, quand la plupart de ceux qui casquent et votent se situent au milieu de ce gué et que le vivier électoral se trouve dans ce même endroit, la classe moyenne ayant autre chose à faire que de se radicaliser. 

Des politiques se trompent encore avec leur obsession des quartiers, des classes défavorisées, croyant ainsi incarner une lutte opposant le bien et le mal, dans une époque devenue si confuse qu’il est devenu complexe de relier libéralisme et sobriété, consumérisme et déconsommation. De cette obsession et de ses conséquences, tous les bords sont comptables. Tous ont un jour ou l’autre désigné de ghetto tout ce qui pouvait constituer un réservoir de voix potentiel par un clientélisme assumé ou non. 

Dans des temps plus reculés, les banlieues, les quartiers étaient peuplés par la classe ouvrière, disparue ou presque au profit de la mondialisation et au bénéfice des secteurs tertiaires. Il faut donc séduire avec d’autres outils, d’autres typologies de populations. 

APERCEVOIR LA FORME

Mais le propos d’Éric Piolle ne peut pas être décorrélés de l’échéance municipale à venir. Penser une seule seconde que l’actuel maire de Grenoble fonctionne sans stratégie serait d’une grande naïveté. Un propos polémique donc, mais à dessein politique . Celui de pousser les opposants à réagir, leur tendant le piège de la réaction en chaine, par définition excessive. Seul Hervé Gerbi, montrant habileté quand il s’agit de mesurer les coups ; ceux à recevoir comme ceux à donner, se fend avec raison gardée de fustiger les excès de la stigmatisation d’un côté et de la surenchère des indignations de l’autre.

Avec cette version 2025, voilà à nouveau Eric Piolle en tête du TOP 50 politique. Faisant la une du Dauphiné Libéré, des chaines infos nationales, relayé tout dernièrement par le Figaro. 

Avec cette seule phrase, il parvient à doubler les oppositions locales mais également à se placer sur l’échiquier national avec un propos clivant ici mais très en phase avec l’axe Tondelier-Faure au national, sans fermer de portes aux Insoumis. A ce plan, il poursuit de séduire ceux et celles qui ont voté pour lui au poste de porte-parole des Verts. 

Éric Piolle est ainsi. Avoir raison ou tort lui importe peu. Il y a un temps pour tout. Un pour le dogme, pour la promotion idéologique, quel que soit le fond, puis un temps pour la communication, qu’elle soit outrancière, outrageante, ou plus légère (son poisson d’avril dernier). Alors qu’ici, candidats et candidates construisent les bassins de leurs couloirs de nage, Éric Piolle prépare la suite à Grenoble et SA suite ailleurs. Et si d’aventure, la liste sortante, quelle que soit son incarnation et ses alliances, venait à remporter les prochaines élections municipales locales, Éric Piolle, que l’on aura vu chuter bien des fois, montrerait qu’il détient encore la ressource de se relever une nouvelle fois. 

Soutenez la liberté d’informer !

Vous aimez Le FiL ? Alors soutenez-nous en faisant un don.

Ce contenu peut aussi vous intéresser

Image de l'article Allan BRUNON: RESIDENT EDILE
Allan BRUNON: RESIDENT EDILE
L’agitateur Insoumis et demi chef de file des Insoumis pour les municipales de 2026 exprime son courroux dans la presse, avec sa véhémence coutumière, flinguant à tout va, ici le bilan de la municipalité sortante, ailleurs le Parti Socialiste, qu’il aime tant à calibrer comme quantité négligeable.
Image de l'article ALLO RIZONS
ALLO RIZONS
C’est en toute fin d’après-midi que nous apprenions, par un communiqué de presse qu’Hervé Gerbi est désormais officiellement désigné chef de file pour le parti Horizons, à Grenoble, en vue des prochaines élections municipales. Une information qui ne manquera pas d’agiter la sphère politique.
Image de l'article HAKIMA NÉCIB: LA DAME DE "FAIRE"
HAKIMA NÉCIB: LA DAME DE "FAIRE"
A la tête de son collectif Demain Grenoble, HaKIMA NÉCIB intègre le panorama politique grenoblois avec en ligne de mire les élections municipales 2026 avec la volonté de participer au retour d’une gauche modérée et progressiste aux destinées de la ville de Grenoble.